mardi 31 juillet 2018

De chair et d'encre de Dola Rosselet

De chair et d'encre

Editions : Rivière Blanche
264 pages

Résumé : Abordant au gré de ses envies – et des besoins de ses histoires – tous les rivages de l’imaginaire, Dola Rosselet ne s’interdit rien : « ce sont les personnages qui décident », dit-elle. Ses thèmes de prédilection se sont dégagés en creux, nouvelle après nouvelle, jusqu’à constituer cet ensemble puisant aux sources des grandes tendances de l’imaginaire. De chair et d’encre est donc un recueil placé sous le sceau de la diversité et de l’harmonie.
Des âmes en peine, d’étranges survivances, des absences si présentes, des ombres qui refusent de s’estomper quand vient le crépuscule, des parfums entêtants aux propriétés impossibles, des jeux de la séduction à la fois cruels et sensuels… Dola Rosselet, c’est une voix vibrante qui s’élève pour demander ce qu’il reste après. Après l’amour, après la mort, après l’exil, après la guerre, après la pluie, après… demain.

Chronique

J’ai lu ce livre il y a quelques mois déjà, ce n’est donc plus tout à fait frais dans ma mémoire. Néanmoins, si les détails sont un peu flous, certaines impressions perdurent. Et c’est bien là que réside la force de « De chair et d’Encre » : sa capacité à toucher quelque chose en nous, à y imprimer sa marque, à laisser des traces. De l’Encre gravée dans la chair.

Si toutes les nouvelles qui composent ce recueil sont différentes, parfois radicalement, explorant de nombreux genres, allant de la SF au fantastique, un dénominateur commun s’en détache : une certaine mélancolie se dégage de l’écriture ciselée, une poésie de ces mots qui percutent, qui capturent l’émotion et la retranscrivent. Il y a une forme de délicatesse et de raffinement transpirant de l’ensemble des nouvelles rarement rencontré dans mes lectures. Une beauté qui transparaît dans la cruauté, la douleur, la tristesse.

Un autre élément important à évoquer est la constance dans la qualité des nouvelles. Beaucoup de recueils peuvent être variables à ce niveau, le très bon côtoyant le beaucoup moins bon… Dola Rosselet nous a épargné cette dernière catégorie, nous offrant uniquement d’excellents moments de lecture. Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir mes nouvelles favorites. Je vais vous présenter ces dernières. Ce classement s’est modifié avec le temps, certaines nouvelles m’ayant peut-être moins emballée sur l’instant, mais leur impression ayant subsisté quelque part en moi, me marquant d’une manière imprévue. C’est le cas notamment de la première nouvelle, A la vie, à la mort, qui évoque des thématiques comme le deuil, le souvenir, les liens familiaux. Je l’avais trouvée belle, mais un peu classique. Et pourtant, après presque sept mois, j’en conserve une forte impression. Une mélancolie prégnante qui reste collée à la peau. Ce n’est pas ma préférée du recueil, mais il s’agit assurément d’une des plus marquantes. Une puissante entrée en matière.

Comme un parfum de deuil m’a laissée une impression semblable. Il s'agit d’un récit plein de sensibilité, qui aborde une thématique douloureuse avec justesse. Un texte qui transpire le désespoir.

La suivante, Autopsie d’une rencontre, est incontestablement l’une de mes préférées. Une nouvelle que j’ai adorée, autant au moment de sa lecture que maintenant, avec un certain recul. C’est dans ce récit que transparaît le plus cette beauté étrange, troublante, dans la cruauté et l’horreur, dessinée par les phrases mélodieuses et impactantes et par un rythme implacable, fascinant.

Machination, dans un genre totalement différent, nous plonge dans un survival désespéré et glaçant. Un rythme effréné et des histoires qui s’entremêlent, pour former un tableau aux couleurs bien sombres.

Trois étoiles est un texte court, percutant, poignant, qui frappe fort et juste. Un petit bijou.

Frères d’a(r)mes conclue le recueil parfaitement, avec un récit d’une grande force, d’une justesse bouleversante. Je l’avais lu il y a plusieurs années déjà et je ne me rappelais pas l’uppercut qu’il provoquait. Porté par des personnages réalistes, humains, il offre un segment d’Histoire sous forme de tranches de vie brutales et tragiques.

Au final, un recueil qui offre une diversité de textes prenants, touchants, portés par un style délicat, jouant sur les sens, tout particulièrement le goût et l’odorat, et laissant une trace derrière eux. Une marque.


dimanche 22 avril 2018

Refuge 3/9 d'Anna Starobinets

Refuge 3/9

Editions pocket (2018)
512 pages


Résumé : Marie est une jeune photographe russe en reportage à Paris. Oppressée par une sensation de malaise provoquée par des cauchemars et des trous de mémoire inexplicables, elle décide de rentrer en Russie, malgré les mises en garde d’un collègue : il se préparerait des événements préoccupants à Moscou.
Yasha, petit garçon victime d’un traumatisme crânien après une chute dans un parc d’attraction moscovite, se retrouve admis dans un étrange hôpital peuplé de créatures inquiétantes tout droit sorties du folklore russe…




Chronique

Refuge 3/9 est un livre assez étrange, qui mélange le folklore russe et une réalité âpre, grâce à une plume à la fois incisive et poétique.

Le livre est découpé en quatre grandes parties, elles-mêmes divisées en chapitres avec le point de vue d’un personnage pour chacun. Dans « le voyage », nous suivons les pérégrinations de Marie, journaliste-photographe russe partie sur Paris pour un salon et qui tente de rentrer dans son pays, mais sa mémoire, et bientôt même son corps, lui jouent des tours. En parallèle, nous découvrons l’histoire du Garçon, qui va voir sa vie bouleversée lors d’une sortie à la fête foraine.
Ce résumé vous paraît étrange ? Vous n’avez encore rien lu ! Anna Starobinets nous maintient perpétuellement à la limite du rêve et du réel, à travers une ambiance inquiétante et une plongée dans un univers de plus en plus insolite. Et en arrière-fond, il y a cette menace floue, imprécise, mais omniprésente, de la déliquescence de la Russie et du monde.

J’ai quelque difficulté à exprimer mon ressenti, car ce dernier est très ambivalent. J’ai adoré le début du roman, car il présente des personnages nuancés (pourrait-on même dire défectueux ?) et un regard acéré sur le monde qui ne m’a pas laissée indifférente. J’ai aimé naviguer dans la mémoire morcelée de Marie, m’y perdre et me laisser porter par le décalage, l’étrangeté que cela amène.
J’ai été moins captivée par les parties concernant les créatures de contes. Il était toutefois intéressant de découvrir un imaginaire dont je suis peu familière, bien que ça ait probablement contribué à mon sentiment d’être un peu perdue (ou de ne pas saisir toutes les références).
Vers la fin, il reste cette impression d’un pas très joyeux bordel, avec un défilé de personnages et de scènes absurdes, auxquels il est difficile de trouver un sens.

Ce roman peut être sujet à diverses interprétations, c’est une lecture qui peut s’effectuer à différents niveaux. Aventure fantastique sombre et inquiétante, conte sur la disparition d’un monde, fresque familiale ? Peut-être tout cela à la fois et bien plus encore. Je mentirai si je disais avoir toutes les clés en main. Peut-être est-ce ce qui m’a le plus frustrée : cette impression de passer à côté de quelque chose, de ne pas saisir toute sa portée symbolique. C'est en tout cas un roman qui mérite qu’on se penche dessus et qu’on y accorde un peu d’attention.


samedi 24 février 2018

Heptagon de Davy Artero

Heptagon

Editions : Rebelle (2018)
350 pages

Résumé : La monstruosité peut prendre n’importe quel visage, même celui de ces jeunes collégiens, qui en allant là où ils n’auraient jamais dû aller, vont se retrouver à commettre les actes les plus horribles…
L’adolescence, période étrange où le corps se transforme, où l’esprit se façonne, où l’on se sent exclu de la société et où l’on se cherche.
Certains, dépassés par ce qui leur arrive, décident d’y mettre un terme, d’autres préfèrent aller tirer quelques cartouches dans un collège. Antony, David et Tom, eux, ont choisi de se réunir, de former un groupe, un club, un clan… pour partager leurs idées.
Ils ont quatorze ans, leur remise en question leur fait voir la vie autrement. Sans s’en rendre compte, ils vont s’enliser mutuellement du mauvais côté, un peu plus chaque jour, sans relâche, dans une spirale infernale où l’issue est incertaine.
Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour leur nouvelle idéologie ?

Chronique

Les écrivains d’horreur sont bien trop rares en France. J’avais donc été ravie d’en apercevoir à un stand du festival de Gérardmer et j’avais conservé son nom dans un petit coin de ma tête. J’étais donc ravie de découvrir l’auteur en question : Davy Artero, qui présente déjà un beau palmarès à son actif : plusieurs romans d’horreur parus à Rebelle Editions et aux Editions des Tourments. Ce qui rend ma critique d’autant plus difficile à écrire, car j’aurais vraiment voulu apprécier ce livre. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

Pour comprendre un peu les raisons de cette déception, j’aimerais digresser quelques lignes à propos de ce que j’apprécie dans l’horreur. C’est une question que l’on me pose souvent, et peut-être est-ce également votre cas, si vous appréciez vous aussi ce genre ; pourquoi lis-tu de l’horreur ? Dans mon cas, cela rejoint directement la question « pourquoi lis-tu ? ». Pour être concise, ce que j’aime dans un livre, c'est éprouver des émotions. J’aime sangloter à ne plus pouvoir en distinguer les mots, j’aime être énervée à vouloir jeter le livre contre le mur, j’aime être angoissée à ne plus pouvoir en dormir la nuit. C'est bien évidemment cette dernière émotion que j’attends dans un livre d’horreur. C'est rare que je sois réellement terrifiée, mais plus qu’avec aucun autre genre, le livre d’horreur me permet de vraiment avoir peur pour les personnages, car dans un livre d’horreur, tout est permis. Les héros peuvent mourir. Ça, c'est une leçon durement apprise avec le très regretté Jack Ketchum.
De ce point de vue, « Heptagon » ne loupe pas sa cible, car les personnages ne sont pas épargnés. Ça, c’est quelque chose que j’apprécie particulièrement dans mes lectures et j’ai donc été ravie par l’audace de Davy Artero. Il ne craint pas d’en « mettre plein la gueule » de ses personnages et il n’a pas peur de faire couler le sang. Voire les tripes. Et moi, j’aime bien ça, quand un auteur met ses tripes sur la table. La dernière partie du roman en regorge, et c'est bien sûr celle-ci que j’ai préférée.
Alors, pourquoi n’ai-je pas plus apprécié ma lecture que cela, me demanderez-vous peut-être ? Il y a différents points que je vais détailler ici.
Une chose que je trouve particulièrement importante dans l’horreur, c'est le développement des personnages. Savoir qu’ils peuvent souffrir et mourir ne suffit pas à ce que je m'intéresse à leur sort : il faut qu’ils aient également de la substance. J’attends des personnages gris, nuancés. Dire que les personnages d’Heptagon sont manichéens serait injuste de ma part, car il y a effectivement une évolution assez sombre d’adolescents au départ respectables. Dévoiler le texte masqué Ce qui fait perdre de sa nuance à l’intrigue, qui reprend un chemin très classique. Ce qui rejoint un autre point qui m’a déçue dans « Heptagon » : l’auteur parvient à nous livrer quelques fulgurances appréciables, mais la structure du récit demeure très classique et ne parvient finalement pas à surprendre. J’aurais préféré une plus grande ambiguïté entre le fantastique et le réel, ce qui aurait permis de laisser le doute sur ce qui guidait les actions des adolescents.
Un dernier point que j’aimerais soulever, c'est la première partie. Beaucoup d’informations biographiques sont apportées d’un seul coup, ce qui ne permet pas d’instaurer un rythme. D’autant plus que l’auteur nous en apprend beaucoup sur les goûts des adolescents, mais pas assez sur leur fonctionnement psychologique. Tous ces détails ont eu tendance à me noyer et les premiers chapitres ne m’ont ainsi pas captivés. On comprend bien l’intention de l’auteur de se rattacher au maximum au réel, au quotidien, et à décrire des adolescents banals afin de contraster avec l’horreur de la suite, mais il y a un problème d’équilibre dans cet exercice périlleux, à mon sens.
Au contraire, une fois le club lancé, j’ai trouvé l’évolution des personnages un peu rapide et j’aurais aimé que l’auteur prenne plus son temps pour nous décrire le cheminement psychologique et intellectuel qui se fait pour eux.

En résumé, Heptagon est un roman d’horreur qui n’hésite pas à mettre en danger ses personnages et qui ne craint pas de faire gicler le sang, mais qui propose une intrigue trop classique à mon goût et trop manichéenne.