mardi 26 janvier 2016

Le sang des forêts de Jean-François Leblanc


Le sang des forêts

Edition : La Valette (2015)
273 pages

RésuméLe trafic de coke tisse des liens sanglants. Les zones interdites du Venezuela chaviste, les rumeurs anonymes de San Luca, les déchéances meurtrières de Montréal et les réserves amérindiennes contestataires du Québec libéral se mêlent dans la deuxième enquête de Jean Royer, Sergent détective au service de police de la ville de Montréal. Échappant aux dérives criminelles du milieu de la construction, il se lance à la poursuite d’un mandataire sadique de la ‘ Ndrangheta :Ramone. Ce prince du crime des bidonvilles de Caracas a décidé d’anéantir les forces de l’ordre de la Belle Province. Borderline, Jean Royer, va oser se frotter à ces réalités et révéler le secret des contradictions québécoises. En contrepoint de cette deuxième enquête horrifique, le quotidien de “l’embrocheur” se dévoile progressivement. Ce pervers absolu né dans La sentence de juillet trouvera sa vérité dans l’épilogue de la trilogie : Le labyrinthe des mirages. Le sang des forêts scelle le talent de l’un des écrivains les plus atypiques de sa génération. Son univers poétique rugueux épouse le rythme du jazz, créant une atmosphère unique, dérangeante, tant elle plonge dans les ténèbres.


Chronique


Autant le dire tout de suite : je n'ai pas été très emballée par ce roman, pour diverses raisons.


Tout d'abord, au niveau des personnages, j'ai eu beaucoup de mal à m'attacher à Royer. le flic bourru, désabusé, toujours proche de l'explosion de violence, ayant du mal à se remettre en question et à construire autre chose dans sa vie que la sempiternelle traque des criminels, on a déjà vu. Et si je dois être tout à fait honnête, ce n'est pas tant cet aspect de vu et revu qui me dérange, car une certaine réalité doit quand même être dépeinte dans ce tableau (on ne ressort pas du contact quasi-permanent avec la violence et l'horreur indemne) mais plutôt qu'à vrai dire, je n'ai jamais accroché avec ce type de personnage. Que ce soit les « héros » de Christophe Grangé, ou Sharko de Franck Thilliez, ou bien d'autres, je les trouve assez peu attachants. Alors, si la psychologie du personnage n'est qu'effleurée (on connaît, après tout), ça n'en devient que plus lassant. Quant aux retours en arrière, aux explications du passé, je les aie trouvées un peu bancales, et pas toujours bien insérées dans l'histoire principale. L'affiliation amérindienne aurait pu être intéressante, mais est tombée de nulle part. de même que l'apparition du chien, qui m'a par ailleurs beaucoup plue, laisse un peu sur le carreau et joue trop des stéréotypes. Mais peut-être qu'en ayant lu le premier tome, les points évoqués sont ressentis différemment. Toutefois, si l'histoire personnelle de Royer, de sa femme, de même que les autres personnages, pas assez développés à mon goût, trop interchangeables dans leurs personnalités, ne m'ont pas particulièrement intéressée, le sang des forêts a tout de même le mérite de ne pas tomber dans certaines facilités, et évite la guimauve (j'ai apprécié que Royer ne se découvre pas soudain une fibre paternelle).



Si l'on met de côté la recherche identitaire de Royer (qui fait appel à certains clichés qui m'ont fait tiquer : (spoilerscomme il est à moitié amérindien, il se sent bien dans la forêt, a un contact particulier avec les chiens et se met à scalper?(fin des spoilers)), deux histoires sont développées en parallèle. La principale, celle sur le milieu de la drogue, est intéressante sur certains points mais ne m'a pas tenue en haleine. Les éléments sont mal dosés : on a une fin explosive, qui condense toute l'action du livre en 20 pages, alors que le reste est assez mou (Royer suit un enchaînement de meurtres tous semblables, pour lesquels on connaît le coupable, et qui ne débordent pas du milieu de la drogue. Peu d'éléments nouveaux en ressortent. Certains détails qui auraient pu apporter plus de matière sont peu exploités, comme les taupes dans la police). de plus, si le développement de l'enfance du tueur, dans les bidonvilles de Caracas, est probablement l'aspect le plus intéressant du livre, il est toutefois trop présenté comme un exposé. J'aurais préféré qu'il soit divisé en de petites touches subtiles tout au long du livre plutôt que livré d'un bloc, tel une analyse sociale indigeste.
L'autre histoire, en parallèle, est celle d'un violeur-tueur en série d'enfants, qui provoque une répulsion quasi-immédiate, et retient l'attention. L'idée d'étendre cette intrigue sur les trois livres de la trilogie est surprenante, mais pourquoi pas. Sauf qu'une fois encore, j'aurais aimé pouvoir appréhender un peu mieux la psychologie du personnage. Durant tout le roman, j'ai eu l'impression de rester à l'extérieur, simple spectatrice d'actions, réactions, sans parvenir à m'impliquer dans celles-ci.



En dernier lieu, le style m'a laissée dubitative. Certains passages sont beaux, d'une poésie rude, mais noyés dans une avalanche de termes, de vocabulaire, qui alourdissent l'ensemble. Certaines phrases sont exagérément longues (allant jusqu'à quasiment une page), obligeant à relire celles-ci plusieurs fois pour en saisir le sens (puisqu'à la fin de la phrase, j'avais déjà oublié le début). D'autres sont complexifiées inutilement par un vocabulaire recherché, rendant le sens de la phrase très flou, sans aucun pouvoir pictural (comment se représenter quelque chose qui n'a plus aucun sens?). Donc un style naviguant entre réussites et échecs, cherchant souvent à en faire trop, avec un enthousiasme si débordant que le but recherché en est quelque peu ruiné.
Pour l'exemple, voilà un passage, parsemé de belles images, accumulées de telle manière qu'elles en deviennent lourdes et fastidieuses à lire :



« Les barrios représentaient ses gènes : ces quartiers populaires construits par les habitants habitués à la mort, cette ambiance de siège constant insufflant une dynamique embrassant toutes les turbulences inimaginables, ces abris en tôles aux dimensions fractales, sortes d'arbres métallurgiques indistincts offrant une vue d'ensemble trouble, ces zones d'ombres brumeuses naissant au gré des improvisations architecturales chaotiques ; l'emmêlement continu des corps sulfureux, le désir d'une violence claire, impériale et décisive permettant de transformer un malandro en figure ultime du chaos, paré à mener une insurrection apte à ouvrir les frontières d'un abîme impensable, légitimé par un Etat pétrolier habitué à réprimer la pauvreté plutôt qu'à la guérir en refusant à tout jamais de la légitimer, en excluant l'idée même de la soulager en la partageant. »



Très rares sont les auteurs parvenant à écrire des phrases extrêmement longues qui restent belles, compréhensibles et captivantes. Malheureusement, Jean-François Leblanc demeure peut-être un poil trop inexpérimenté pour réussir cet exercice de style, malgré de bonnes idées. Car si j'ai beaucoup critiqué, dans le sens négatif du terme, c'est surtout dû à une certaine frustration, car ce roman présente du potentiel, dans certaines images, dans l'ambiance, dans le mélange culturel entre les forêts du Canada, les bidonvilles de Caracas, les réserves indiennes, etc. et il aurait fallu de peu pour que je puisse l'apprécier. D'ailleurs, je ne doute pas que ceux qui auront pu s'attacher à Royer, aux différents personnages, ainsi qu'être transportés par ces voyages et ce style (car certains aimeront, mon avis n'est que purement subjectif), trouveront des qualités indéniables à ce roman, et l'apprécieront.



Je remercie de toute façon Babelio et les Editions La Valette pour la découverte de ce livre et de cet auteur, car il est toujours intéressant d'élargir ses horizons.


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