dimanche 14 mai 2017

L'affaire Isobel Vine de Tony Cavanaugh

L'affaire Isobel Vine

Editions : Sonatine (2017)
413 pages

Résumé : Le nouveau Michael Connelly est australien.
Pour n’importe quel passant, les rues, les places, les jardins de Melbourne possèdent un charme certain. Pour Darian Richards, chacun de ces lieux évoque une planque, un trafic de drogue, un drame, un suicide, un meurtre. Lassé de voir son existence ainsi définie par le crime, et uniquement par le crime, il a décidé, après seize ans à la tête de la brigade des homicides, de passer à autre chose. Une vie solitaire, plus contemplative.
Il accepte néanmoins de sortir de sa retraite par amitié pour le chef de la police qui lui demande de disculper son futur successeur, en proie à des rumeurs relatives à une ancienne affaire : en 1990, après une fête donnée chez elle, on a retrouvé le corps sans vie de la jeune Isobel Vine. Suicide, accident, meurtre ? L’enquête fut d’autant plus délicate que quatre jeunes flics participaient à cette soirée. Elle fut classée sans suite, mais le doute persiste sur ce qui s’est réellement passé.
Reprendre des investigations vingt-cinq ans après les faits n’est jamais une partie de plaisir, surtout quand l’affaire concerne de près la police. Les obstacles ne manquent pas. C’est sans compter sur le caractère obstiné, rebelle et indiscipliné de Darian Richards et sur sa fâcheuse habitude à porter davantage d’attention et de respect aux morts qu’aux vivants. L’enquête rythmée de nombreux rebondissements va peu à peu l’amener aux frontières du bien et du mal, de la vérité et du mensonge, et Richards y perdra peut-être ses dernières illusions.
Une description rarement vue des rouages policiers. Une ville, Melbourne, personnage à part entière du roman. Une intrigue captivante. Et un antihéros plein de blessures intimes, misanthrope et obstiné, que l’on a envie de retrouver à peine la dernière page tournée.

Chronique

Une lecture que j’ai vraiment appréciée. Ce polar, bien que classique dans sa structure et pour une grande partie de son intrigue, parvient à se distinguer sur plusieurs points : l’enquête, tout d’abord, qui porte sur une affaire non élucidée vieille de 25 ans impliquant des flics, ce qui la rend encore plus délicate à mener et lui donne une portée politique. J’ai également aimé les personnages, bien brossés et tout en nuances. Le style de l’auteur joue beaucoup pour cet aspect. En effet, l’écriture semble suivre les pensées des personnages, ce qui est parfois déstabilisant car donne un côté déstructuré à certains passages. D’ailleurs, je ne sais toujours pas quoi penser de son style assez particulier : le passé et le présent sont souvent mélangés, avec un retour en arrière constant sur des événements qui viennent de se produire et une manière d’écrire très « parlée ». C’est déstabilisant, mais bizarrement, ça fonctionne.

Un autre point fort de ce livre, c’est le lieu. Melbourne y est décrite et intégrée de telle manière qu’on a l’impression de s’y trouver. Mais ce que j’ai aimé par dessus-tout, c’est la connaissance du milieu policier de l’auteur. On sent qu’il a fait ses recherches et qu’il les a bien intégrées. On pourrait presque croire qu’il a été flic lui-même, tant ses réflexions et descriptions semblent solides et cohérentes.
Quelques bémols, toutefois, pour l’affaire Isobel Vine : l’auteur insère de nombreuses anecdotes sur l’Australie, Melbourne… elles sont intéressantes et participent au sentiment de solidité de l’ouvrage, mais ne sont pas toujours bien insérées. À certains moments, cela donne un côté artificiel aux dialogues ou aux situations.
Vers le milieu du livre, celui-ci souffre d’une baisse de rythme. L’intrigue ne surprend pas, suit les chemins que l’on attend, et donc c’est difficile de maintenir le même intérêt du début à la fin. Mais cette dernière rattrape aisément ce défaut : surprenante, noire, cynique même. J’ai adoré.

Donc un polar bien mené, solide, efficace, avec une baisse de rythme au milieu rattrapée par une fin décapante. L’humour décalé présent tout au long du récit, lié aux personnages hors normes, permet de souffler dans une ambiance noire bien posée.



vendredi 12 mai 2017

Cérès et Vesta de Greg Egan

Cérès et Vesta

Editions : Le Bélial (2017, collection "Une Heure-Lumière")
120 pages

RésuméCérès d’un côté, Vesta de l’autre. Deux astéroïdes colonisés par l’homme, deux mondes clos interdépendants qui échangent ce dont l’autre est dépourvu — glace contre roche. Jusqu’à ce que sur Vesta, l’idée d’un apartheid ciblé se répande, relayée par la classe politique. La résistance s’organise afin de défendre les Sivadier, cible d’un ostracisme croissant, mais la situation n’est bientôt plus tenable : les Sivadier fuient Vesta comme ils peuvent et se réfugient sur Cérès. Or les dirigeants de Vesta voient d’un très mauvais œil cet accueil réservé par l’astéroïde voisin à ceux qu’ils considèrent, au mieux, comme des traîtres… Et Vesta de placer alors Cérès face à un choix impossible, une horreur cornélienne qu’il faudra pourtant bien assumer…

Chronique

Cérès et Vesta est mon deuxième "Heure-Lumière", collection qui a immédiatement su me séduire avec ses couvertures magnifiques, ses concepts ambitieux et surtout l’excellent Dragon de Thomas Day. Et si Ceres et Vesta ne m’a pas autant conquise que le fameux susnommé, je reste malgré tout satisfaite de ma lecture et subjuguée par les partis pris ambitieux de ces touts petits livres (petits dans la forme, mais pas dans le fond). En effet, Ceres et Vesta parvient à déployer en peu de pages un univers avec un background consistant qui réunit tout ce que j’aime dans la SF : une approche futuriste (bien sûr), mais pour au final mieux parler de notre époque. En peu de lignes, Greg Egan parvient à nous dessiner un monde très visuel : deux astéroïdes colonisés, où les hommes survivent grâce à la technologie. Cette dernière semble consistante tout en restant abordable pour le lecteur, même s’il peut être compliqué au début de s’y retrouver dans ce mode de vie inconnu. Toutefois, ce n’est pas ce aspect qui prime, mais celui, humain, avec des questions terriblement d’actualité posées tout au long de l’histoire : l’immigration et le rejet social d’une partie de la population. Nous pouvons suivre pas à pas l’évolution d’une population ordinaire vers la ségrégation, en comprenant les mécanismes qui y mènent. J’ai trouvé l’approche pertinente, notamment avec les deux intrigues qui s’imbriquent (la perception extérieure et intérieure de la situation). L’horreur de ce qui se passe est amplifié par l’aspect claustrophobique de l’espace (il n’y a nulle part où fuir, excepté Cérès).
Mon seul bémol serait lié au format, qui est à la fois la force et la faiblesse de cette collection : le récit est très court, et j’ai regretté ne pas pouvoir poursuivre ma découverte de ce monde. D’un autre côté, nous sommes peu habitués en France aux novellas et c’est intéressant d’en proposer.
Un récit ambitieux, donc, peut-être un peu trop pour le format. Toutefois, il demeure bien construit, avec un sens du rythme et du découpage efficace et surtout, c’est un texte qui m’a touchée. Le mélange d’espoir, de peur, de culpabilité, de colère aussi, se fond dans les histoires terriblement humaines qui fondent la ligne directrice de Cérès et Vesta.