La place du mort
Editions : OVNI (2017)
200 pages
Résumé : De nos jours. Dans le noir.
L’important, ce n’est pas où on va. Parce que, quoiqu’il advienne, on ne va nulle part. L’important, c’est comment on y va. Et ce qu’il advient pendant ce temps-là, justement. Mais La place du mort, ce n’est pas « Après nous, le déluge ». Ce n’est pas l’eau tiède de la démission passive. C’est la cigarette du condamné. Celle qu’on brûle par les deux bouts.
Aux grands maux, les grands remèdes. Tant pis si le remède s’avère pire que le mal. Tant pis s’il a goût d’essence, dès lors qu’il reste une allumette pour cracher du feu. La place du mort, c’est quand les victimes décident de se faire juges, jurés et bourreaux. Et quand la charité bien désordonnée commence par soi-même, elle se transforme en arme de destruction massive.
Mais ne croyez pas qu’il ne s’agisse que de littérature. Ce serait à la fois trop facile et faux. Parce que la littérature façon Christophe Siébert, ce n’est jamais « que » de la littérature.
Oubliez Bonnie and Clyde. Oubliez Sid and Nancy.
Voici vos nouveaux amis. Ils s’appellent Blandine et Sammy.
Vous n’allez pas en revenir. Au sens propre, sale et figuré.
Chronique
Christophe Siébert ne facilite pas les choses à ses lecteurs. Peut-on dire qu’on aime « la place du mort » ? Peut-on en conseiller la lecture ? Tout comme Blandine, cet auteur ne s’embarrasse pas du regard des autres, il ne craint pas ce qu’on pourrait penser ou ressentir avec cette lecture. Au contraire, il confronte et il provoque les réactions. Et nous, lecteurs, sommes-nous capables de dépasser la moralité pour apprécier une lecture tout sauf morale ?
La place du mort, c'est un road trip (trip-es- pouvant être pris dans tous les sens du terme) halluciné, où le voyage ne se déroule pas à travers des beaux paysages, mais dans les champs de ruine de l’existence, toujours à fond, sans jamais freiner et sans retour en arrière. Sans GPS et sans direction. La place du mort, c’est un mélange entre du Virginie Despentes et tueurs nés, mais en bien plus trash. Et pourtant, Artikel Unbekannt touche un point essentiel dans la préface du livre, qui permet d’aborder le récit d’une autre manière : la notion de beauté fragile. Blandine et Sammy refusent l’existence telle qu’on la leur présente, mais cela ne les empêche pas de vivre. Cela ne les empêche pas de trouver le bonheur, même si celui-ci ne correspond pas à l’idée que nous, connards de morts-vivants, peuvent s’en faire. Est-ce que cela le rend moins valable ? Moins beau ? Alors, la pornographie omniprésente se transforme en un acte d’amour et c’est difficile de savoir qu’en penser. C’est en tout cas difficile de juger ou de condamner.
Comme je le disais, Christophe Siébert ne nous facilite pas la tâche. Il ne cache rien, il expose tout, et à travers son écriture presque poétique, imprimée d’un rythme particulier, on suit les pensées de Blandine, sa vie, son histoire, ainsi que celle de Sammy. Un passage m’a marquée : celui où Blandine vend son corps pour acheter à manger, au début de sa rencontre avec Sammy et commente la scène en précisant qu’elle ne la rendra pas moins sordide que ce qu’elle est, malgré l’envie évidente du type de ne pas se confronter de manière aussi brutale à ses propres actions. Je trouve que ce passage résume bien le livre : Christophe Siébert ne rend pas moins sordide ce qui s’y passe, il nous oblige à nous y confronter de la manière la plus brutale possible. Il brise nos fantasmes de road trip sous les étoiles, de liberté et d’amour passionnel. On a tous (ou presque) rêvé de tout quitter, de partir sur les routes et de vivre sans contrainte. Mais sans contrainte, ça n’existe pas, et l’épopée sanglante de Blandine et Sammy est beaucoup moins romantique que celle de Bonnie and Clyde. C'est sordide, donc. Et pourtant, c'est quand même beau, et c’est ça qui est fort.
L’objectif de Blandine n’a jamais été de vivre éternellement, ce qui serait parfaitement illusoire. Elle, elle voulait vivre fort, intensément, et c’est réussi. Elle trouve un équilibre fragile, qui ne peut qu’être brisé, qui n’a d’ailleurs de sens que s’il l’est.
Est-ce que j’ai aimé « la place du mort » ? Eh bien oui.